Dossier spécial :
Discriminations en entreprise


1. Des propos racistes tenus lors du repas de Noël du CSE laissent supposer une discrimination

Des propos racistes tenus par sa supérieure hiérarchique au cours d'un repas de Noël avec des collègues de travail, organisé par le comité social et économique, relèvent de la vie professionnelle de la salariée et constituent des éléments laissant supposer une discrimination en raison des origines.

Cass. soc. 15-5-2024 n° 22-16.287 F-D

Une salariée saisit le conseil de prud'hommes en vue notamment d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail, de voir juger que cette résiliation produit les effets d'un licenciement nul car dû à un harcèlement moral discriminatoire. Elle se plaint d'avoir subi des quolibets et clichés racistes de la part de sa supérieure hiérarchique, à son égard et vis-à-vis des noirs en général, spécialement lors du repas de Noël organisé par le comité d'entreprise

Elle est déboutée en appel. Les juges constatent que la référence à la couleur de peau de la salariée a été évoquée par la supérieure hiérarchique dans le contexte très particulier d'un repas festif, organisé non par l'employeur mais par le comité d'entreprise, en dehors de l'entreprise et du temps de travail. En outre, ils relèvent qu'il n'est pas démontré que les faits dénoncés, se rapportant à des avantages que la salariée expliquait pouvoir obtenir de la part de commerçants dans le cadre de réclamations (par exemple un surclassement ou des « miles » par une compagnie aérienne) se rattachent à la vie professionnelle de l'intéressée et à celle de l'entreprise. Ils en déduisent que ces faits, indépendants de la vie professionnelle de la salariée, ne laissent pas supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte.

À noter :

Devant la cour d'appel, la salariée a invoqué un certain nombre de faits pour démontrer la discrimination raciale subie : absence de double écran informatique ou de ligne téléphonique dédiée alors que tous les autres salariés en disposaient, apparition de ses noms et fonctions au plus bas de l'organigramme, attribution d'un CDI à un jeune stagiaire d'un poste équivalent au sien alors qu'elle avait exprimé le souhait de bénéficier d'un tel contrat, etc. Mais aucun de ces faits n'étaient établis. En revanche, les propos tenus lors du repas de Noël étaient, eux, corroborés par le témoignage de plusieurs salariés figurant dans le compte-rendu de l'enquête menée par le CHSCT (CA Versailles 27-1-2022 n° 20/01577).

Mais la Cour de cassation n'est pas du même avis. Elle casse l'arrêt d'appel, considérant que les propos à caractère raciste, tenant à la couleur de peau de la salariée, avaient été tenus par sa supérieure hiérarchique au cours d'un repas de Noël avec des collègues de travail, organisé par le comité d'entreprise, ces propos relevaient donc de la vie professionnelle de la salariée et constituaient des éléments laissant supposer une discrimination en raison de ses origines.

À noter :

De la même façon, la Cour de cassation juge qu'une faute ayant eu lieu en dehors du temps et du lieu de travail peut justifier un licenciement disciplinaire lorsqu'elle est susceptible de se rattacher à la vie professionnelle du salarié. Ainsi, par exemple, est justifié le licenciement pour faute grave du salarié, cadre de l'entreprise, ayant donné un violent coup de pied au visage d'un autre salarié au cours d'une réunion du personnel organisé dans les locaux de l'entreprise et en dehors des heures de travail par le CSE, ce comportement relevant de la vie professionnelle du salarié, quand bien même le litige à l'origine de la rixe était d'ordre personnel (Cass. soc. 12-1-1999 n° 96-43.705 F-D : RJS 2/99 n° 150). De même, se rattache à la vie professionnelle du salarié et peut justifier son licenciement disciplinaire le fait de proférer des injures racistes et de violer l'interdiction de fumer dans l'entreprise après la journée de travail (Cass. soc. 16-10-2023 n° 12-19.670 F-D : RJS 1/14 n° 19).

En l'espèce, en application du régime probatoire de la discrimination (C. trav. art. L 1134-1), il appartient désormais à l'employeur de démontrer devant la cour d'appel de renvoi que la situation alléguée était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Ce qui, au cas présent, paraît difficile.

2. Refuser de rompre un congé parental au profit d’un congé de maternité est discriminatoire

Le Défenseur des droits rappelle que le refus de rompre de manière anticipée le congé parental d’une salariée au profit d’un congé de maternité constitue une discrimination en raison de son sexe et, en conséquence, demande au Gouvernement de modifier le Code du travail à ce sujet.

Décision du Défenseur des droits 2024-048 du 4-4-2024

Le Défenseur des droits a été saisi une nouvelle fois par une salariée d’une réclamation relative au refus opposée par son employeur de rompre prématurément son congé parental d’éducation afin de pouvoir bénéficier d'un congé de maternité et de l’indemnisation qui s'y attache.

Il est vrai que l’article L 1225-52 du Code du travail ne permet d'interrompre un congé parental de façon anticipée que dans deux hypothèses : le décès de l'enfant ou une diminution importante des ressources du ménage.

Si la jurisprudence européenne offre la possibilité de mettre fin au congé parental au profit du congé de maternité (CJUE 20-9-2007 aff. 116/06 : RJS 12/07 n° 1337 ; CJUE 13-2-2014 aff. 512/11 et 513/11 : RJS 5/14 n° 450 ; CJUE 8-5-2019 aff. 486/18 : RJS 8-9/19 n° 536), l'employeur a refusé la demande du salarié au motif que cette jurisprudence ne s’impose pas aux employeurs français dans la mesure où elle n’a pas été transposée dans notre droit.

Dans sa décision du 4 avril 2024 adressée à l’employeur et au Gouvernement, le Défenseur des droits rappelle que le refus de rompre de manière anticipée le congé parental de la réclamante au profit du congé de maternité constitue une discrimination en raison de son sexe. Par ailleurs, il renouvelle sa recommandation à la ministre du travail, d’initier une réforme du Code du travail pour intégrer la supériorité du congé de maternité et le droit pour toute femme se trouvant enceinte pendant un congé parental de rompre celui-ci au profit du congé de maternité (déjà, en ce sens, Décision du Défenseur des droits 2019-183 du 24-10-2019).

Le Défenseur des droits avait déjà adopté cette position dans une lettre de 2015 et, à cette occasion, avait interpelé la caisse nationale d’assurance maladie sur ce sujet (Lettre du Défenseur des droits 16 du 1-3-2015). En réponse, l'organisme social avait annoncé que de nouvelles instructions seraient diffusées afin de garantir l'accès aux prestations maternité en cas d'interruption du congé parental.

Ajoutons que sur le site institutionnel « service-public.fr », il est expressément précisé que la salariée qui tombe enceinte pendant un congé parental d'éducation peut l'interrompre au profit d'un congé maternité.

3. Discrimination liée au handicap et non-respect de l'obligation de reclassement : régime probatoire

Le régime probatoire de la discrimination est applicable à l’action en discrimination en raison du handicap fondée sur le refus, même implicite, de l'employeur de prendre des mesures concrètes et appropriées d’aménagements raisonnables pour permettre aux travailleurs handicapés de conserver leur emploi.

Cass. soc. 15-5-2024 n° 22-11.652 FP-BR

En vertu de l'article L 5213-6 du Code du travail, l'employeur doit prendre des mesures appropriées d'aménagements raisonnables pour permettre aux travailleurs handicapés d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins soit dispensée. Ces mesures sont prises sous réserves que les charges consécutives à leur mise en œuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l’aide prévue à l’article L 5213-10 du même Code. Le refus de prendre ces mesures peut être constitutif d’une discrimination.

Dans un arrêt du 15 mai 2024, la Cour de cassation apporte des éclaircissements sur le régime probatoire applicable en cas de non-respect de ces obligations.

À noter :

Le rapporteur fait valoir que l'étude des arrêts d'appel sur ce sujet révèle une confusion sur cette question, les cours d'appel se fondant tantôt sur l'obligation de reclassement et tantôt sur la discrimination. Or, le mécanisme probatoire de ces deux notions, les sanctions et le contrôle qu'exerce la Cour de cassation dessus sont distincts. 

Ainsi, la notice jointe à l'arrêt rappelle qu'il convient de distinguer ce qui relève du droit de l'inaptitude et de l'obligation de sécurité, le manquement de l'employeur à son obligation de reclassement privant seulement le licenciement de cause réelle et sérieuse, et ce qui relève du droit de la discrimination, dont la sanction est la nullité du licenciement

En l'espèce, une salariée reconnue en qualité de travailleur handicapé est licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Estimant avoir été discriminée car l'employeur n'a pas mis en place de mesures d'aménagements, elle saisit les tribunaux pour obtenir la nullité de son licenciement.

Les juges d'appel font droit à sa demande. Ils retiennent que la société n'a pas respecté les obligations de l'article L 5213-6 du Code du travail, puisqu'elle n'a pas pris en compte le statut de travailleur handicapé et n'a proposé aucune mesure particulière à la salariée dans le cadre de la recherche de reclassement.

La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel, reprochant à la cour de ne pas avoir appliqué le mécanisme probatoire de la discrimination issu de l'article L 1134-1 du Code du travail. Elle en livre un mode d'emploi en deux temps pour les juges du fond saisis d’une action au titre de la discrimination en raison du handicap.  Ceux-ci doivent ainsi :

  • en premier lieu, rechercher si le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une telle discrimination, tels que le refus, même implicite, de l’employeur de prendre des mesures concrètes et appropriées d’aménagements raisonnables, le cas échéant sollicitées par le salarié ou préconisées par le médecin du travail ou le comité social et économique, ou son refus d’accéder à la demande du salarié de saisir un organisme d’aide à l’emploi des travailleurs handicapés pour la recherche de telles mesures ;
  • en second lieu, rechercher si l’employeur démontre que son refus de prendre ces mesures est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison du handicap, tenant à l’impossibilité matérielle de prendre les mesures sollicitées ou préconisées ou au caractère disproportionné pour l’entreprise des charges consécutives à leur mise en œuvre.

En conséquence, si le salarié décide de fonder son action sur la discrimination, il doit dans un premier temps présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une telle discrimination, la seule qualité de travailleur handicapé ne constituant pas, à elle seule, un tel élément.

À noter :

La Cour de cassation avait déjà jugé dans une précédente affaire que si le manquement de l’employeur à son obligation de reclassement a pour conséquence de priver de cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé pour inaptitude et impossibilité de reclassement, le fait que l’employeur refuse de prendre les mesures pour permettre au salarié de conserver son emploi, sans justifier de leur caractère disproportionné, caractérise une discrimination liée au handicap et entraîne la nullité du licenciement (Cass. soc. 3-6-2020 n° 18-21.993 FS-PB : RJS 7/20 n° 382).

4. Un motif économique de licenciement non établi n'est pas un élément étranger à toute discrimination

Ne constitue pas un élément objectif étranger à toute discrimination la réorganisation intervenue pendant l'arrêt maladie du salarié en raison de la situation économique de l'employeur, dès lors que le motif économique invoqué pour justifier le licenciement n'est pas établi.

Cass. soc. 10-7-2024 n° 22-16.805 FS-B

En matière de discrimination, la charge de la preuve est aménagée : lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et constituant selon lui une discrimination, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'une discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'une discrimination et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La Cour de cassation rappelle ces règles dans une affaire mêlant licenciement économique et discrimination liée à l'état de santé.

Déclaré apte après plus de deux ans d'arrêt de travail pour maladie professionnelle, de 2014 à 2016, un directeur administratif et financier solde ses congés à la demande de son employeur puis est de nouveau arrêté. Il est licencié pour motif économique en 2017 avant d'avoir pu reprendre son poste. Il saisit les tribunaux pour demander la nullité de ce licenciement pour discrimination liée à l'état de santé.

Il est débouté en appel. Dans un premier temps, les juges relèvent qu'aucun outil de travail ou bureau n'était disponible à son retour et qu'il était le seul cadre à avoir été licencié au titre de la restructuration opérée par l'employeur et retiennent que ces éléments laissent supposer l'existence d'une discrimination liée à son état de santé

Puis ils observent que, d'une part, l'employeur était déficitaire au cours des exercices comptables 2014 et 2015, que le chiffre d'affaires était en baisse significative sur les années 2013, 2014 et 2015 et, d'autre part, que le salarié ayant initialement remplacé le demandeur sur son poste pendant son arrêt maladie occupait depuis le courant de l'année 2016, un poste réunissant les attributions attachées au directeur administratif et financier ainsi que d'autres rattachées à la logistique, à l'informatique, aux ressources humaines et au service client.

Les juges en déduisent que l'employeur a licencié le salarié pour des motifs tenant à une réorganisation intervenue pendant son arrêt maladie en raison de sa situation économique, ces justifications constituant des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Ils considèrent donc que le licenciement n'est pas survenu pour un motif discriminatoire.

Pour autant, la cour d'appel fait droit à la contestation par le salarié de la cause économique invoquée, les données comptables sur lesquelles l'employeur s'appuyait, antérieures de plus d'une année à la date de la rupture du contrat, ne permettant pas d'établir l'existence de difficultés économiques à la date du licenciement. Le licenciement est donc jugé sans cause réelle et sérieuse.

La Cour de cassation censure la cour d'appel pour avoir ainsi établi par des motifs impropres que la décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination alors qu'elle avait constaté que le motif économique invoqué n'était pas établi.

À noter :

On observera que la cassation intervenue à ce titre produit ses effets sur la condamnation au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, obtenue par le salarié, parce que la nullité éventuelle du licenciement affecte nécessairement ce chef de décision.

5. Refuser la nouvelle identité de genre d'une salariée est discriminatoire

L'interdiction pour ses collègues d'utiliser le prénom féminin de la salariée et de la désigner au féminin après qu'elle a décidé d'assumer sa nouvelle identité, ainsi que les restrictions apportées à l'usage du maquillage et à l'expression de sa revendication de genre constituent une discrimination en raison de l'identité de genre.

CPH Angers 24-6-2024 n° 23/00342

Depuis la loi 2012-954 du 6 août 2012 sur le harcèlement sexuel, l'identité de genre (dénommée « identité sexuelle »  avant la loi 2016-1547 du 18 novembre 2016) est un motif discriminatoire visé aux articles L 1132-1 du Code du travail et 225-1 du Code pénal. Le conseil de prud'hommes d'Angers a rendu, le 24 juin dernier, un jugement relatif à une telle discrimination.

À noter :

Sont concernées les personnes transsexuelles ou transgenres qui, selon le rapport AN n° 86, sont victimes de discriminations commises ni à raison de leur sexe (ce n'est pas parce qu'elles sont hommes ou femmes qu'elles sont discriminées) ni à raison de leur orientation sexuelle (ce n'est pas non plus parce qu'elles sont homosexuelles ou bisexuelles qu'elle sont visées), mais à raison de leur situation particulière d'homme ou de femme ayant une apparence physique ne correspondant pas à leur état civil ou ayant changé d'état civil.

Jusqu'à cette loi de 2012, la jurisprudence européenne et française considérait les discriminations à l'égard des personnes transgenres comme des discriminations fondées sur le sexe (CJCE 30-4-1996 aff. 13/94 : RJS 7/96 n° 858 ; Cons. prud. Montpellier 9-6-2008 n° 06/01812 : RJS 12/08 n° 1152).

En l'espèce, une salariée d'une entreprise de fast-food a décidé d'assumer sa nouvelle identité de genre en allant travailler avec un maquillage et des vêtements conformes à son identité sexuelle féminine.

Cette nouvelle apparence lui a valu des réprobations de la part de certains membres de la hiérarchie. Ainsi, ces derniers ont interdit à ses collègues d'utiliser son prénom féminin et de la désigner au féminin, lui ont fait des remarques et donné des consignes sur son maquillage. S'estimant discriminée, elle a saisi le conseil de prud'hommes.

Pour justifier de son refus d'utilisation du nouveau prénom de la salariée, l'employeur se prévalait de la loi du 6 fructidor an II (23 août 1794) selon laquelle chacun ne peut porter que ses nom et prénom de naissance, arguant du fait que l'identité d'une personne est immuable. 

Argument rejeté par les juges, la loi ayant évolué. L'article 60 du Code civil, depuis la loi 2016-1547 du 18 novembre 2016, prévoit en effet que toute personne peut demander à l'officier d'état civil à changer de prénom, celui-ci pouvant saisir le procureur de la République lorsqu'il estime que la demande ne revêt pas un intérêt légitime. L'administration a précisé que la transsexualité était un des motifs légitimes de modification du prénom (Circ. JUSC1701863C du 17-2-2017, ann. 2). La salariée avait d'ailleurs obtenu le changement de son prénom à l'état civil.

Les juges relèvent également qu'aucune raison objective liée à la nature des tâches relatives à son poste de travail ne justifiait pleinement ces comportements.

En conséquence, le conseil de prud'hommes a jugé que la salariée avait été victime de discrimination en raison de son identité de genre.

6. La preuve de la discrimination à l’épreuve du RGPD

Si la communication de bulletins de paie d’autres salariés pour établir une discrimination syndicale est conforme au RGPD, le juge doit néanmoins veiller à ce qu’elle respecte le principe de minimisation des données, en ordonnant l’occultation des mentions non indispensables et en en limitant l’utilisation à l’action en cause.

Cass. 2e civ. 3-10-2024 n° 21-20.979 FS-BR, Caisse fédérale de Crédit mutuel de Maine-Anjou Basse-Normandie c/ R.

En matière de discrimination, la charge de la preuve est aménagée : le salarié soumet au juge les éléments de fait laissant supposer son existence, charge à l’employeur de prouver ensuite que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (C. trav. art. L 1134-1).

Pour apporter ces éléments de fait, le salarié peut être amené à demander au juge d’ordonner à l’employeur de produire des documents qu’il détient, notamment des contrats de travail ou des bulletins de paie d’autres salariés (Cass. soc. 12-6-2013 n° 11-14.458 FP-PB : RJS 8-9/13 n° 606). La communication d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d'autres salariés peut être ordonnée dès lors qu’elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi (Cass. soc. 8-3-2023 n° 21-12.492 FS-PB : FRS 7/23 inf. 7 p. 14 ; Cass. soc. 1-6-2023 n° 22-13.238 F-B : FRS 13/23 inf. 11 p. 20).

À noter :

La comparaison avec la situation d’autres salariés n’est pas indispensable pour établir l’existence d’une discrimination (notamment : Cass. soc. 20-9-2023 n° 22-16.130 F-D : RJS 12/23 n° 615). Mais elle peut être incontournable, notamment dans les contentieux relatifs à l’évolution de carrière ou la rémunération, la disparité de traitement avec des salariés dans une situation équivalente, hors le motif discriminatoire, pouvant être un élément laissant supposer une discrimination.

Le traitement et la communication des données personnelles sont régis par le règlement européen 2016/79 du 27 avril 2016 (règlement général sur la protection des données – RGPD). Dans un arrêt du 3 octobre 2024, rendu sur avis de la chambre sociale (Cass. avis 24-4-2024 n° 21-20.979 FS-D), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation encadre l’office du juge afin de respecter l’articulation des exigences résultant du droit à la preuve et celles du RGPD, notamment le principe de minimisation des données.

À noter :

La Cour de cassation précise également dans cet arrêt que les salariés dont les données personnelles sont demandées sont des tiers au litige et n’ont pas donc pas à être appelés ou entendus en application de l’article 14 du Code de procédure civile.

La communication de bulletins de paie pour établir la discrimination est licite au regard du RGPD…

Un salarié, s’estimant victime de discrimination syndicale, saisit la juridiction prud’homale de demandes d’indemnisation et rappels de salaire. Par jugement avant dire droit, le conseil de prud’hommes ordonne à la société de produire les historiques de carrière de 9 salariés ainsi que leurs bulletins de salaire de décembre sur 10 années et de justifier de leur communication contradictoire au salarié. La décision est confirmée par la cour d’appel.

L’employeur, invoquant le RGPD, se pourvoit en cassation.

La Cour de cassation constate, tout d’abord, que l’exigence de licéité du traitement des données posée par l’article 6 du RGPD s’applique à la production en tant qu’élément de preuve de documents contenant des données personnelles, tels que les bulletins de salaire de salariés tiers ainsi qu’un historique de la carrière de ceux-ci, ordonnée par une juridiction prud’homale dans le cadre d’une procédure juridictionnelle engagée par un salarié se plaignant d’une discrimination syndicale.

La deuxième chambre civile relève par ailleurs que la communication par l’employeur de bulletins de paie et leur mise à disposition d’un salarié invoquant une discrimination syndicale, ordonnée par une juridiction prud’homale, ressortent d’un traitement effectué dans une finalité différente de celle pour laquelle les données ont été collectées.

Constatant que ce traitement garantit la protection de l’indépendance de la justice et des procédures judiciaires et l’exécution des demandes de droit civil, conformément à l’article 23 du RGPD, la Haute Juridiction juge que la communication des bulletins de paie et leur communication au salarié répondent aux exigences de licéité de ce règlement

À noter :

La Cour de cassation a déjà précisé, dans un contentieux également relatif à la communication de bulletins de salaire pour prouver une discrimination syndicale, qu'au regard du RGPD le droit à la protection des données à caractère personnel n'est pas un droit absolu et doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d'autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité (Cass. soc. 8-3-2023 n° 21-12.492 FS-PB : FRS 7/23 inf. 7 p. 14).

La Cour de cassation précise également que le juge saisi n’est pas tenu de se faire communiquer préalablement les documents dont le contenu est légalement ou réglementairement défini, tels que les bulletins de paie des salariés de l’entreprise.

À noter :

On peut se demander si la solution serait la même pour des documents dont le contenu n’est pas fixé par les textes, tels des comptes rendus d’entretien d’évaluation.

… à condition de respecter le principe de minimisation des données

La deuxième chambre civile s’est ensuite penchée, dans un moyen relevé d’office, sur l’office du juge dans le traitement de ces données personnelles, notamment au regard du principe de minimisation des données. Selon ce dernier, les données à caractère personnel doivent être adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées (RGPD art. 5 § 1). Il en découle que, lorsque seule une partie des données apparaît nécessaire à des fins probatoires, la juridiction nationale doit envisager la prise de mesures supplémentaires en matière de protection des données, telles que la pseudonymisation ou toute autre mesure destinée à minimiser l’entrave au droit à la protection des données, comme une injonction adressée aux parties auxquelles ces documents ont été communiqués de ne pas les utiliser à une autre fin que celle de l’administration de la preuve lors de la procédure en cause (CJUE 2-3-2023 aff. C-268/21 § 56).

La Haute Juridiction livre un mode d’emploi pour le juge saisi d’une demande de communication de données personnelles dans le cadre d’un contentieux en discrimination. Elle rappelle d’abord, conformément à sa jurisprudence, qu’il appartient au juge de rechercher si la communication des données est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi. En outre, le juge doit cantonner, au besoin d’office, le périmètre de production de pièces sollicitées au regard notamment des faits invoqués au soutien de la demande en cause et de la nature des pièces sollicitées.

À noter :

La chambre sociale avait déjà considéré que le juge peut limiter le périmètre de la communication de pièces si la demande est trop générale (Cass. soc. 16-2-2020 n° 19-17.637 FS-PB : RJS 3/21 n° 135). La deuxième chambre civile précise ici que ce cantonnement peut être effectué d’office et qu’il doit l’être au regard des faits invoqués et de la nature des pièces sollicitées.

La Haute Juridiction ajoute ensuite que le juge doit veiller au principe de minimisation des données à caractère personnel, en ordonnant, au besoin d’office, l’occultation sur les documents à communiquer par l’employeur au salarié de toutes les données à caractère personnel des salariés de comparaison non indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi. Pour ce faire, il lui incombe de s’assurer que les mentions, qu’il spécifiera comme devant être laissées apparentes sont adéquates, pertinentes et strictement limitées à ce qui est indispensable à la comparaison entre salariés en tenant compte du ou des motifs allégués de discrimination.

À noter :

Dans un colloque organisé par la Cour de cassation, celle-ci s’est posé la question de la nature du contrôle qu’elle devra réaliser en matière d’occultation des mentions (Colloque Cour de cassation du 4-10-2024 « Questions sensibles de droit du travail »).

Enfin, le juge doit faire injonction aux parties de n’utiliser ces données, contenues dans les documents dont la communication est ordonnée, qu’aux seules fins de l’action en discrimination.

À noter :

1. Il résulte de la rédaction de l’arrêt, rendu par le juge de la procédure civile qu’est la deuxième chambre civile, que sa portée est générale et ne concerne pas que le contentieux de la discrimination, mais l’ensemble de la matière civile, en référé ou au fond. À notre sens, en matière prud’homale, cette décision aura des effets principalement dans le contentieux de la discrimination et de l’égalité de traitement.

2. Les conditions du contrôle de proportionnalité sont cumulatives, la minimisation des données ne dispensant pas le juge d’effectuer le reste. La Cour de cassation a récemment censuré une cour d’appel qui avait ordonné l’occultation des données personnelles des bulletins de paie (hormis les nom, prénom, classification, rémunération détaillée et rémunération brute), mais n’avait pas cantonné le périmètre de production, alors que le salarié demandait les bulletins de nombreux salariés de l’entreprise sur une période de 30 années (Cass. soc. 25-9-2024 n° 23-25.557 F-D).

En l’espèce, la cour d’appel n’avait pas veillé au principe de minimisation des données ni enjoint aux parties de n’utiliser celles-ci que dans le cadre de l’action en discrimination. L’arrêt est donc cassé.

7. [VIDÉO] Comment évaluer la diversité en entreprise pour lutter contre les discriminations ?

Pour lutter efficacement contre les discriminations en entreprise, un état des lieux préalable est crucial. Il permet d'anticiper les freins au recrutement. Le point, dans cette vidéo, sur les outils pratiques à la disposition des employeurs pour les accompagner dans cette démarche.

8. [VIDÉO] Comment éviter les discriminations dans le process de recherche de candidats ?

Avant de lancer le processus de recrutement, l'identification des besoins spécifiques et des compétences exigées pour un poste s'avère fondamentale. En définissant rigoureusement ces critères, chaque candidat pourra faire valoir ses atouts de manière équitable, sans discrimination ni biais. Explications dans cette vidéo préparée par la rédaction sociale Lefebvre-Dalloz. 

9. [VIDÉO] Quelles bonnes pratiques suivre pour la rédaction d'une offre d'emploi non discriminatoire ?

La rédaction d'une offre d'emploi doit être rigoureuse. Chaque mot doit être pesé pour éviter toute discrimination, certaines mentions étant à éviter voire à bannir. Retrouvez dans cette vidéo les points d'attention pour les employeurs. 

10. [VIDÉO] Quelles questions poser ou non lors du recrutement ?

Dans le cadre d'un recrutement, l'employeur doit se limiter aux questions en lien avec les aptitudes professionnelles du candidat, excluant les sujets sensibles et personnels. Dès lors, le salarié peut-il refuser de répondre ? Et l'employeur doit-il justifier un refus d'embauche ? Cette vidéo permet de mieux comprendre les enjeux liés à ces sujets.

11. [VIDÉO] Pourquoi est-il crucial de former les recruteurs à la non-discrimination à l'embauche ?

La sensibilisation des acteurs du recrutement et des managers à la non-discrimination s'avère cruciale pour promouvoir une culture exempte de préjugés dans l'entreprise. Quels sont les bonnes pratiques à suivre et les outils à disposition des employeurs ? La rédaction sociale Lefebvre Dalloz fait un point sur ces interrogations dans cette vidéo.

12. [VIDÉO] Comment sélectionner un candidat sans discriminer ?

Comment réaliser un recrutement équitable, respectueux du Code du travail ? Existe-t-il des méthodes permettant de limiter les biais subjectifs ? Le point en images dans cette vidéo. 

13. [PODCAST] Licenciement lié à la santé du salarié : réellement impossible ?

14. [INFOGRAPHIE] Quelles sont les bonnes pratiques pour rédiger une offre d'emploi sans discrimination ?

Lorsque les besoins de recrutement ont été identifiés de manière objective, il est important de rédiger l'offre d'emploi sans utiliser de critères discriminatoires, conformément au Code du travail. L’annonce doit donc s’adresser à tous les candidats de manière égale, sans limitation d'âge, de sexe ou autre, sauf exceptions prévues par la loi.

15. [INFOGRAPHIE] Cancer du salarié : comment réagir ?

Le mois d’octobre est traditionnellement marqué par l’organisation d’évènements autour de la question du cancer, notamment du cancer du sein. Dans le monde du travail, un grand nombre de salariés est confronté à cette maladie au cours de sa carrière. Des questions se posent alors. Faut-il annoncer sa situation à son employeur ? Quelles solutions s’offrent au salarié ? Côté employeur, comment réagir ? Cette infographie fait le point sur le sujet.

16. [QUIZ] Discrimination à l'embauche

Testez vos connaissances sur le sujet de la discrimination à l’embauche avec notre quiz en cliquant ici

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